Je tourne en rond dans le quartier, sous la maturité des feuillus dépourvus de verdure. Aujourd’hui, j’ai chaussé mes souliers, car je ne tolère plus de porter mes bottes. Dans le but de protéger ma santé, j’en ai déduit qu’il valait mieux attraper froid que d’avoir le moral à zéro.
Cette année, la chaleur se laisse désirer. Et tout le monde l’attend.
Je dois me l’avouer : la patience n’a jamais été ma plus grande vertu. Mais, ce petit défaut de fabrication de ma personnalité m’a souvent rendu bien des services. Oui, mon impatience me sort de l’attente et me fait passer à l’action. Et si ce n’était pas de cette impatience, je ne serais pas ici, en ce jour d’avril, à tournoyer dans ce quartier de belles maisons. Comme quoi il y a du bon dans tout.
Au bord des rues traînent des restants d’hiver. Mais aujourd’hui, peu m’importe. Le temps froid peut s’étirer, s’étendre de tout son long et voler les jours de ma saison préférée, ça ne change rien à l’humeur de mon cœur qui chante comme un oiseau en plein été. Enfin, je gare ma voiture.
J’éteins le moteur et jette un coup d’œil au cadran du tableau de bord de mon véhicule. Le printemps est en retard ; moi trop tôt. J’appuie ma tête contre mon dossier et je souris. Dans mon esprit, je rejoue cette journée du mois de novembre 2018. Je revois toutes les séquences de ce geste que j’ai posé et grâce auquel j’ai obtenu mon rendez-vous d’aujourd’hui…
Il faisait gris, il faisait froid. Et j’en avais assez d’attendre qu’il se passe quelque chose. Quelque chose d’intéressant et de nouveau. Ce matin-là, je m’étais réveillée avec une idée de génie : celle d’écrire à quelqu’un pour qui j’avais de l’admiration. Quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment. Une étoile dans son domaine. Oui, je m’étais réveillée avec l’envie de travailler avec lui, ou du moins, d’avoir son opinion sur la qualité de mon travail, dans le but de m’améliorer. Idée farfelue.
Debout devant mon ordinateur, je fis les 400 pas et relus à voix haute en boucle le courriel que je m’apprêtais à envoyer à cette personnalité publique. Message de trois lignes que j’avais mis trois heures à rédiger. Perfectionniste un jour, perfectionniste toujours ! Figée devant mon écran, j’hésitai davantage. Et plus l’incertitude me gagnait et plus mon idée de génie me semblait absurde.
Mais la peur de mourir d’ennui me tiraillait jusque dans le bas du ventre et me poussait à prendre un risque. Au fond, j’avais peu à perdre. Sauf pour mon ego qui se méfiait du rejet. Pourtant, je savais : personne ne meurt de l’échec, même s’il fait mal.
J’évaluai risques, conséquences et possibilités. Puis, je fis des mathématiques. Le hamster de mes pensées tourna telle une toupie parmi toutes mes équations et mes soustractions.
La possibilité de réussir m’animait et m’enivrait, même si l’anxiété ne laissait guère sa place aux bons sentiments.
Dans le but de me donner bonne dose de courage afin de ressentir suffisamment de force pour passer à l’action, je fouillai ma mémoire à la recherche d’une histoire de victoire. Le souvenir d’un homme que j’avais jadis rencontré dans le cadre d’une entrevue, alors que j’animais une émission à la télévision communautaire, remonta à mon esprit. Cet homme avait décidé, à l’âge de trente ans, de devenir chanteur d’opéra. Dans le but de caresser son rêve de plus près, il m’avait confié qu’il s’était rendu à la demeure de son idole : Luciano Pavarotti. Il avait sonné à la porte et lorsque l’on avait ouvert, il s’était présenté comme étant lui aussi chanteur d’opéra. Et on l’avait laissé entrer dans la très grande maison de la célébrité. Complètement émerveillée, je l’avais laissé me raconter son moment avec lui, durant lequel il avait chanté en sa compagnie. Curieuse, je lui avais demandé comment il avait réussi à s’approcher de quelqu’un d’aussi convoité. Ce à quoi il avait répondu qu’il suffisait d’agir avec confiance sans jamais mettre l’autre sur un piédestal.
Enfin, le souvenir de cette confidence marquante me donna la confiance nécessaire pour appuyer sur la touche « envoyer ».
Je me redresse. Le cadran m’indique que le temps est venu pour moi de sortir de mon véhicule et de me rendre à mon rendez-vous tant attendu.
En marchant, je réfléchie…
Combien de refus essuie-t-on au cours de son existence ? La réponse varie en fonction de la quantité de tentatives que l’on fait pour obtenir quelque chose. Par expérience, il s’agit rarement d’un échec, mais plutôt d’une partie remise. Car malgré nos agendas bien remplis, la vie organise les événements dans le temps avec beaucoup plus de sagesse que nous ne pourrons jamais le faire. Il suffit de trouver la ligne entre la persévérance et l’acharnement, et d’apprendre à agir avec un certain lâcher-prise sur le résultat. Ainsi la peur du refus perd de son importance.
On est souvent à un appel, un courriel, un « bonjour » pour changer le cours des choses ou pour donner une petite touche de magie à sa vie.
Et le sentiment d’exaltation que l’on ressent lorsque l’on passe à l’action et que ça fonctionne est tel qu’on a envie d’essayer d’aller encore plus loin.