Je faisais du ménage dans mes dossiers et je suis tombée sur un texte que j’ai écrit il y a plus de trois ans. À cette époque, j’habitais temporairement chez une amie — je venais de déménager à la suite d’une séparation —, et je fréquentais un gars depuis déjà quatre mois. Je ne vous cacherai rien : c’était l’homme de ma vie, de mes rêves ! On se parlait trois fois par jour. Pendant des heures. Il me faisait des cadeaux. Des beaux. Il me complimentait. Plus que quiconque. Il me surnommait « ma chérie », « mon amour », « princesse de mes rêves »… Il y avait de la chimie, de l’artifice, de la complicité. Une véritable fusion nucléaire !

Un jour, alors qu’il devait m’appeler, il disparut… Me laissant suspendue dans le vide de mon questionnement.

Parce que je sais que plusieurs sont aux prises avec ce genre de relation, j’ai eu envie de vous partager le texte qui m’a permis de ventiler alors que j’étais au beau milieu de ce chassé-croisé amoureux.

L’humour a toujours été ma bouée de sauvetage. Je vous lance la mienne.

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Ma coloc se lève. Cheveux ébouriffés, elle se dirige vers la cuisine, ramasse la boîte de jus dans le frigo et s’en verse un verre.

« Salut, dit-elle, endormie.

― J’pense qu’il est mort, dis-je, assise sur une des chaises de la cuisine.

― Hein ? Qui ?

― Tu sais qui… Plus ça va, plus je pense qu’il est mort. J’suis vraiment inquiète.

―  J’pensais qu’on avait enterré sa disparition en buvant du vin pis en jouant à la Wii. Pis il serait mort où?

― Ben… à Montréal.

― Comment ?

― J’sais pas…  C’est ça qu’il faut que j’trouve.

― Franchement, t’exagères. Va te recoucher.

― Attends, j’vais regarder sur Internet. Peut-être que Google le sait, lui, comment il est mort.

Vêtue de mon pyjama dépareillé, j’ouvre mon ordi pour voir les nouvelles et inscris son nom dans la barre de recherche. Le cœur battant, je m’attends au pire.

― Pis? Est-ce qu’il est mort dans une attaque terroriste? demande ma coloc.

― Arrête de niaiser ! C’est sérieux. Non, j’trouve rien. Mais j’peux pas me fier là-dessus. Peut-être qu’il s’est enfui. Au Mexique?!

― Hein… Au Mexique? Pourquoi au Mexique?

― J’sais pas… Il m’a dit qu’il voulait vivre sa retraite au Mexique. Il semblait vraiment à bout…

― Voyons, il a 38 ans. Moi aussi, j’suis à bout. J’prends pas ma retraite pour autant. Quoique si je pouvais prendre ma retraite…

― Pis il s’est fait enlever par des Mexicains qui voulaient son argent! Il a sûrement les deux mains attachées dans le fond d’une valise de char! Hon… c’est pour ça qui répond pas à mes appels…   Pauvre lui… Penses-tu que j’devrais appeler l’ambassade du Canada ?

― Non, non, on se calme.

― À moins qu’il soit en train de mourir à l’hôpital.  C’est vrai… J’me souviens. Il m’a dit qu’il avait une hernie. J’connais pas les hernies, moi, mais peut-être que ça affecte le cerveau. Pis que ça peut causer un AVC!  Il a peut-être perdu l’usage de la parole. Ça va mal en maudit pour parler au téléphone.

― C’pas une raison.

― Il mène peut-être une double vie.

― Sors de ton multiplexe mental.

― Tout ce que je sais, c’est qu’il devait aller à Toronto.

― C’pas la jungle, Toronto. Ils ont le service de téléphone.

― Il est peut-être tombé en amour avec une fille de Toronto.

― Impossible, t’es bien plus l’ fun qu’une fille de Toronto.

― Il est peut-être retourné avec son ancienne blonde.

― Possible.

― J’comprends rien. Il a dit : « J’t’appelle demain. » Ça fait 8 jours ! Je l’ai peut-être blessé…

― Ha! ha! ha!!!

― Tsé, il suit une thérapie.

― Pourquoi ?

― Il a juste mentionné qu’il sabotait toutes ses relations et que plus les gens étaient gentils, plus il les maltraitait.

― Cours Forrest ! Cours !

― Arrête de niaiser. Il veut s’aider, c’est déjà un début. Il a aussi dit qu’il était caméléon, que sa personnalité changeait en fonction des gens avec qui il était.

― As-tu vérifié dans ta chambre,  il a peut-être pris la couleur du plancher.

―  Arrête de rire. C’est pas drôle. J’comprends rien… Penses-tu que je lui ai fait peur lors de notre dernière conversation téléphonique?

― Qu’est-ce que tu lui as dit?

― «  Bonne nuit ! »

― …

― Ouin… C’est pas ça. Tsé, sa vie à l’air compliqué. Il est peut-être tombé dans une grave dépression entre Noël pis le jour de l’An.

― Faut l’envoyer.

― L’envoyer où?

― Vallée-des-hommes-perdus.

― Pis s’il revient?

― C’est loin en maudit, c’te vallée-là!  Juste à côté de la Vallée-des-bas-perdus-dans-la-sécheuse. T’es mieux de faire ton deuil.

― J’dois absolument en avoir le cœur net. Ça fait des jours que j’dors pas. J’pense sincèrement qu’il lui est arrivé quelque chose. Voyons, on est du même milieu de travail. Il sait bien qu’on va se recroiser. Ce serait complètement ridicule de m’ignorer. En plus, il m’a acheté un cadeau de Noël. Pourquoi il aurait fait ça si c’était pour se sauver le lendemain ?

― Il est trop d’bonne heure pour les grandes questions existentielles .

Sous le regard désespéré de ma coloc, je décroche le combiné et compose le numéro de Columbo. J’explique la mission : savoir si « l’homme de ma vie »… est en vie. Comme mon inquiétude n’a pas la patience d’attendre les résultats, je fais appel à un autre enquêteur qui connait mieux le dossier. Timidement, je lui explique ce qui me turlupine. Heureusement pour moi, Columbo 2 est fort bien renseigné. Dans ma tête, ma sauveuse intérieure s’évanouit sous le poids de tous mes scénarios dramatiques qui s’effondrent en un instant. Sous le choc, je retourne voir ma coloc qui mange des raisins.

― Pis?

― Il est vivant…

― J’te l’avais dit.

― J’comprends rien… Penses-tu qu’il va finir par me rappeler?

― Peut-être à Pâques. Avec un peu de chance, il va ressusciter et sortir de sa caverne. Pis là, il va être un homme nouveau. Parce qu’il va avoir fait une grosse méditation.  Mais, d’après moi, t’as encore plus de chance de voir Jésus.»

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Est-il revenu ? Bien sûr que oui ! Je n’ai jamais su le détail de ce qui s’était passé pendant ces dix jours. Pas plus que toutes les autres fois où j’ai eu droit, sans aucune raison apparente, à un silence radio. Quand quelqu’un agit de la sorte, il est évident qu’il y a anguille sous roche.

Pourquoi s’acharner à prouver notre valeur à quelqu’un qui ne nous choisit pas entièrement et qui nous traite ainsi ? On se remet en question, n’est-ce pas ? Comme si quelque chose à l’intérieur de nous était erroné. Être ainsi rejeté, d’une façon si irrespectueuse, ne fait qu’amplifier ce sentiment. Et nous redoublons d’efforts afin que l’autre nous voie enfin. Berné par le déni et aveuglé par l’obsession, on ne réalise pas l’absurdité et l’immaturité de ce genre de comportement.

Alors, plutôt que de se donner la mission impossible d’obtenir l’amour de cet autre inatteignable, pourquoi ne pas quitter ce genre de relation malsaine, sans faire de bruit, et marcher vers le soleil ?

C’est ce que je vous souhaite.

 

 

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